Grandir Main dans la Main

Se connecter à travers le chaos : comment faire lorsque plusieurs frères et soeurs ont de grands sentiments en même temps

Un article de Kristen Volk, instructrice Grandir Main dans la Main aux Etats Unis / Traduit de l’anglais par Soizic Le Gouais et Chloé Saint Guilhem

Quel parent n’a pas souhaité pouvoir se cloner en une armée d’experts en câlins, soignants, gardes d’enfants, prêteurs de genoux, changeurs de couches, gouvernantes et super intendants ? Combien de fois pouvons-nous nous dire: “Il n’y a qu’un seul moi ?” Nous voulons aimer, nous sentir proches et communiquer avec nos enfants tout en veillant à leur développement équilibré et en même temps gérer nos responsabilités de ranger les courses, préparer le dîner, vivre dans une maison organisée, entretenir des relations avec les voisins, accompagner les enfants à droite, à gauche… et la liste continue. Comment peut-il jamais y avoir assez de nous pour faire le tour ?

Nous sommes particulièrement susceptibles de nous sentir moins que suffisants lorsque de grosses contrariétés touchent plus d’un enfant à la fois. Les enfants sont des personnes passionnées et se libérer de leurs contrariétés n’est pas seulement un processus naturel mais aussi intelligent et sain. Quand un enfant est chamboulé, son cerveau est en déséquilibre. Ses sentiments ont envahi son système limbique, lequel envoie alors des signaux pour dire à la partie pensante du cerveau: “il est temps de faire une pause.” Un enfant peut retrouver sa connexion en déchargeant sa douleur par les pleurs, la colère, les tremblements, la transpiration ou le rire. les parents peuvent soutenir leur enfant dans ce processus naturel en s’approchant de lui et en l’écoutant avec une attention pleine et chaleureuse. Nous montrons à l’enfant à travers le langage du corps et quelques mots (“Je suis juste là.”, “Tu peux toujours avoir une bonne journée.”) que nous savons qu’il est une bonne personne et que nous croyons à ce processus.

Si un enfant ne peut pas décharger ses sentiments, son comportement peut devenir irrationnel pour nous signaler qu’il ne peut plus penser. Un enfant irrationnel peut pousser son frère ou lancer des objets à travers la pièce. Il est préférable d’intervenir tôt, lorsque ses émotions sont encore à la surface. Si l’enfant ne peut pas décharger avant que les dommages n’aient été faits, il peut devenir distant et indifférent ou bien cacher ses grands sentiments derrière des accusations et une carapace. Il est alors plus difficile de l’atteindre.

La parentalité est un travail difficile ; idéalement, il devrait toujours y avoir d’autres adultes ou de la famille élargie autour, de sorte que lorsque plusieurs enfants pleurent, il y ait un adulte attentif pour respecter le droit de l’enfant de pleurer et pour l’écouter afin qu’il retrouve sa bonne nature. Mais pour de nombreux parents, ce n’est pas la réalité. Lorsque vous avez à faire avec deux enfants déconnectés ou plus, rappelez-vous que vous faîtes de votre mieux et que la perfection n’existe pas.

Voici quelques idées qui pourraient être utiles lorsque plusieurs enfants se libèrent de leur douleur et qu’il semble que le chaos se déchaîne :

1. Ecoutez et soyez le garant de la sécurité. Quand le système limbique d’un enfant est submergé par les émotions, il ne peut plus bien penser à propos de lui-même ou des autres autour de lui. Il n’a pas de contrôle sur ses impulsions; il peut prendre le jouet de son frère sans aucune provocation. Il ne peut plus se rappeler que vous l’aimez ; il peut donner des coups.
Restez proche. Assurez-vous de la sécurité de tous. Si vous avez un enfant qui a tendance à taper, soyez prêt. Utilisez des oreillers ou des coussins pour séparer vos enfants ou asseyez-vous entre eux. Laissez de la place pour les bras et les jambes qui tapent et donnent des coups et pour “les chaussures volantes”.

Qui a besoin d’être écouté en premier? (Pour les disputes entre frères et soeurs, lisez “Rivalités dans la fratrie : quelques solutions” et “Disputes dans la fratrie : quand vous arrivez trop tard”.) Un enfant qui a été blessé physiquement va avoir besoin d’attention en premier. Une crise causée par une frustration peut probablement attendre un petit peu. Bien qu’un enfant qui fait une crise de rage puisse bouger énormément, il ne blessera généralement personne, même s’il vaut mieux garder un oeil sur lui pour s’assurer qu’il ne se blesse pas lui-même. Cependant, une crise qui dure depuis plus de 15 minutes indique que l’enfant travaille sur des sentiments lourds dans sa mémoire émotionnelle et a besoin d’une grande dose de votre chaleur et de votre attention.

Quand vous avez compris qui a besoin d’aide en premier, pensez à prendre votre “esprit chaleureux” avec vous. Passez un moment attentif avec cet enfant puis tournez-vous vers l’autre enfant : dîtes quelque chose comme “Je vais écouter Thomas maintenant. Tu es en sécurité ici et je reviens vers toi dans quelques instants.”

2. Restez-Ecouter chaque enfant à tour de rôle. Vous montrer chaleureux et attentif alors qu’un enfant est en train de déverser ses sentiments est très efficace. Quand vous êtes seul et qu’il y a plusieurs enfants blessés, c’est comme jongler! Mais quand vous abordez la situation avec tolérance et connexion, vous devenez le partenaire de votre enfant au lieu de créer une lutte de pouvoir. La confiance et la sécurité grandissent dans les relations familiales, le stress diminue et la famille peut mieux se détendre les uns avec les autres.

Alors que vous écoutez un enfant, essayez de faire savoir au deuxième que vous vous souciez de lui en posant une main sur lui ou en lui disant que vous serez avec lui bientôt. Par exemple : “J’écoute Noé maintenant. Je t’écouterai dans deux minutes.”

Ne vous laissez pas empêtrer dans le fait de savoir qui a fait quoi à qui. Au lieu de cela, concentrez-vous sur le processus de guérison émotionnelle de chaque enfant et sur la connexion avec chacun d’eux. Ils ont juste besoin de votre attention ; ils n’ont pas besoin que vous solutionniez tout. Lorsque les enfants pourront réfléchir à nouveau, ils trouveront probablement des solutions sages et intelligentes, même pour des questions importantes comme le partage, l’exclusion ou l’équité.

Patty Wipfler, la fondatrice de Grandir Main dans la Main, dit : “Rapprochez les l’un de l’autre. Apportez leur de l’attention chacun leur tour, pour une ou deux minutes chacun, et si vous avez besoin de pleurer avec eux tandis que vous faites de votre mieux pour les aimer chacun et tous, c’est ok. Rester et pleurer est certainement meilleur pour eux que de vous lever et de partir. Appeler quelqu’un alors que vous êtes en plein milieu de cette situation et avoir quelqu’un qui vous écoute pendant deux minutes, est bien aussi. Ce n’est pas facile.”

Voici une histoire qui montre comment cela peut se passer dans une famille:

Le père de mes enfants, qui avait des antécédents de cancer, a dû aller aux urgences et avait besoin de moi pour aller récupérer les enfants là-bas. J’ai annulé mon programme de la journée, pour me donner de l’espace et du temps, et pendant le trajet pour me rendre à l’hôpital, je me préparais à rester calme et attentive pour mes enfants. A l’hôpital, mes enfants regardaient la télévision et semblaient aller bien, mais en dessous, je savais qu’il y avait probablement des peurs au sujet de leur père. En effet, dans les 5 minutes, ma fille a commencé à donner des coups de pied à mon fils. J’ai créé un jeu avec mes enfants, qui a aidé à les séparer et à arrêter les coups de pied et ensuite j’ai travaillé avec chacun d’eux individuellement alors qu’ils s’effondraient. Mes deux enfants ont commencé à pleurer à propos de la terrible journée qu’ils avaient eue et comment leur père avait gâché leur journée.

Je passais quelques minutes avec ma fille et je disais: “je vais vérifier comment va ton frère maintenant et je reviens avec toi dans quelques minutes.” pendant environ 60 minutes, j’ai fait des aller-retours et mes deux enfants ont libéré une bonne couche de peurs au sujet de leur père. Puis nous avons quitté l’hôpital tous les trois, bras dessus, bras dessous. Le reste de notre journée a été agréable et nous avons eu des conversations utiles sur ce que leur papa vivait.

Il est également bon de réaliser que nous n’avons pas le contrôle sur quand nos enfants déchargent leurs émotions. Avec nos vies remplies et stressantes, nous aimerions avoir un calendrier pour cela, mais nous ne pouvons pas. Parfois la meilleure réponse est le lâcher-prise, comme l’a fait cette mère :

Après une longue journée hors de chez moi, je revenais en voiture avec ma fille et le bébé de 4 mois dont je m’occupais. Le bébé avait bien dormi durant le trajet, mais lorsque nous arrivâmes il se réveilla affamé et commença à s’agiter. Ma fille était très fatiguée de cette journée dehors et dit qu’elle ne pouvait pas monter jusqu’à notre appartement au 3ème étage. En plus du bébé, j’avais beaucoup d’autres choses à monter et je ne pouvais pas porter ma fille. Pourtant, je décidai que je voulais être à l’intérieur de chez moi si la situation allait s’effondrer.
Ma fille commença à pleurer à gros sanglots, et je m’approchai d’elle doucement et lui dit : “ma chérie, je t’écouterai quand on sera là haut”. Elle se mit à pleurer plus fort. Je lui dit alors : “je vais garder un œil sur toi”. Je portai alors le bébé et le tas d’autres choses à l’étage, puis je revins chercher ma fille qui avait besoin de beaucoup de soutien.
Une fois que tout et tout le monde était à la maison, j’étais exténuée ; la seule chose que je parvins à faire fut de tomber au sol et d’admettre que ceci n’était pas agréable et que c’était hors de mon contrôle. Je préparai un biberon pour le bébé, m’assit par terre, et pris le bébé contre moi. Ma fille vint se blottir contre moi et je l’entourai de mon bras. Je l’écoutai pleurer à propos du fait que sa journée avait été difficile et que j’avais seulement prêté attention au bébé.
J’étais tellement contente qu’elle déverse ses sentiments à l’extérieur. Renoncer au fait de contrôler la situation m’a beaucoup aidée à ce moment là. Cela nous a permis à ma fille et moi de nous rapprocher de telle façon qu’elle a pu se sentir suffisamment en sécurité pour me raconter ses malheurs. Après une bonne séance de larmes (moi y compris), ma fille joua joyeusement avec le bébé pendant que je rangeai les affaires de la journée.

3. Anticiper et se préparer pour les difficultés émotionnelles. Attendez-vous à des motifs de contrariété tels que certains moments de la journée ou transitions. Vos enfants se bagarrent-ils lorsqu’il faut aller quelque part en voiture ? Se donnent-ils des coups de pied sous la table pendant le repas ? Anticiper de tels comportements et se concentrer sur leur tension émotionnelle peut aider à résoudre ces moments difficiles.

Par exemple, supposé que vos enfants se soient donné des coups de pied sous la table tous les jours depuis plusieurs semaines. Plutôt que d’espérer en vain qu’ils finiront par cesser, attendez-vous à ce qu’ils continuent et essayez de trouver un plan. Le dîner est un moment courant où exprimer ses sentiments, parce qu’à ce moment là, les enfants se trouvent avec des adultes avec qui ils se sentent en sécurité et ils ressentent le sens de la famille et de la communauté. Les enfants gardent souvent leur besoin de décharger pour de tels espaces sécurisés. En conséquence, plutôt que d’attendre que les coups de pied commencent, essayez de créer un moment de détente avant le repas. Luttez ou faites une bataille de coussins en famille pendant une dizaine de minutes avant de passer à table. Une fois évacuées les tensions de la journée, le repas pourra commencer dans la joie et la bonne humeur.

Un autre moment typique sujet aux tensions et à la bagarre, c’est le retour à la maison après l’école. Les disputes sont prévisibles : la sœur a pris la place de son frère dans la voiture ; le frère a chanté trop fort, ou il a mis ses pieds sur le sac de sa sœur. Le vrai problème ici c’est que les enfants ont eu une longue journée et qu’ils ont besoin de décharger leurs tensions avant de se sentir proches de vous et proches les uns des autres. Si vous pouvez anticiper cela, offrez leurs quelques câlins vigoureux avant de monter en voiture, ou alors prévoyez un Temps Particulier avec chaque enfant dès qu’ils rentrent à la maison. (Un Temps Particulier, c’est un moment défini que vous passez avec votre enfant en faisant ce qu’il veut et en lui accordant 100% de votre attention et de votre enthousiasme. C’est un merveilleux outil pour rafraîchir votre connection – même cinq minutes peuvent faire une grande différence.)

4. Le rire est un moyen puissant pour se connecter. Jouer-écouter – jouer en suivant ce qui fait rire les enfants – peut apporter de la détente dans une situation tendue et permet de relâcher les émotions qui provoquent des comportements débordants. J’utilise souvent le Jeu-écoute, en particulier lorsque je vois que mes enfants se mettent à déborder en même temps. Voici l’histoire d’un autre parent qui a utilisé cette technique :

Mes deux enfants étaient allongés sur le sol du séjour dans un carré de soleil. Le carré de soleil commença à rétrécir, et bientôt ils se touchaient l’un l’autre, ce qui dégénéra en coups de pied. Ils n’aimaient pas que l’on envahisse leur espace. Je me suis alors allongée entre eux et je me suis mise à chanter : “Stop…. Au nom de l’amour ! Je n’aime pas que vous me touchiez”. Et ils commencèrent à rire. Puis très vite ils se mirent à chanter, “Arrête tout de SUI…I…ITE !” Nous riions tous les trois en gesticulant et en chantant. Le carré de soleil fut complètement oublié parce que nous étions connectés et parce que mes deux enfants avaient mon attention.

5. Recevez du soutien. Etre parent représente un travail très intense et difficile et les parents ont besoin qu’on les écoute. Nous avons besoin de parler des défis que nous rencontrons, de ce qui est difficile, des moments où nous nous trouvons dos au mur. Les bouleversements émotionnels de nos enfants peuvent réactiver de vieilles blessures. Des émotions enfouies d’une époque où nous avons été blessés par nos propres frères et sœurs, où nous avions besoin d’attention et n’en avons pas reçu peuvent ressurgir et nous laisser en colère, blessés, isolés et distraits vis-à-vis de nos propres enfants. Recevoir un temps d’écoute régulièrement peut aider prévenir ces moments où nous nous sentons accablés et où nous nous refermons sur nous-mêmes.

Par exemple, quand les émotions des enfants arrivent en cascade les unes après les autres puisqu’ils sont tous déconnectés en même temps, cela peut sembler injuste – comme s’ils s’étaient ligués contre nous. Si cette situation déclenche en vous des sentiments très forts, posez-vous la question, “est-ce qu’il m’est arrivé de me sentir seul contre tous quand j’étais enfant ?” Laissez ces moments revenir à votre esprit. Quels sentiments provoquent-ils ? Ecoutez-vous, mais aussi, trouvez quelqu’un d’autre qui peut vous écouter.

Trouvez une personne pour vous écouter – un Partenaire d’Ecoute – qui ne vous interrompra pas, ne vous jugera pas ni ne vous conseillera ou essaiera de vous réparer. Vous n’êtes pas cassé. Vous avez juste besoin de soutien vis-à-vis du travail difficile qu’est celui de parent. Pour en apprendre plus sur les Partenariats d’Ecoute, consultez le livret Grandir Main dans la Main intitulé “Les Partenariats d’Ecoute pour les Parents”.

6. Reconnaître que cela peut prendre du temps. Vos enfants vous veulent près d’eux, avec toute votre attention – et quand ils sont hors d’eux, ils ne peuvent pas suffisamment bien penser pour reconnaître que quelqu’un d’autre a aussi besoin de votre aide. Vous pouvez leur offrir votre présence et toute votre attention, mais comme il n’y a qu’un seul vous et que eux sont plusieurs, cela peut prendre du temps. Accordez-vous le temps nécessaire.

Ce serait formidable si chaque enfant pouvait toujours avoir l’attention d’un adulte pour lui tout seul, mais souvent cela n’est simplement pas possible. Dans ces situations là, se concentrer sur la connection – les limites oui mais la connection en premier et avant tout – paie beaucoup plus. Non seulement vous traverserez ces moments difficiles avec grâce et calme, mais vous allez voir votre famille devenir plus détendue, plus souple, et mieux connectée.